Politiques, artistes, influenceurs : Après mes selfies, cachez ces Réunionnais que je ne saurais voir

Rédigé le 27/04/2024
Gaetan Dumuids

32
Cette semaine, une entreprise hexagonale s'est jouée de la presse locale en faisant venir des journalistes pour rencontrer des influenceurs venus pour la cause animale et environnementale à La Réunion. La réalité était tout autre puisqu'il s'agissait purement et simplement de faire la promotion du produit et d'afficher sa vertu sur les réseaux sociaux, mais en aucun cas d'avoir une interaction avec les Réunionnais. Un mépris de certains "people" qui ne changent pas malgré l'évolution de la société.

« Quoi ? On ne vous a pas prévenu qu’ils ne voulaient pas vous parler ? », nous lâche-t-on avec une mauvaise foi difficilement dissimulable. Car oui, nous étions trois journalistes à nous être rendus au Pas de Bellecombe jeudi dernier afin de rencontrer des influenceurs venus pour la cause environnementale et la protection animale. La réalité était tout autre. Bien évidemment, ils savaient pertinemment que nous ne serions pas montés au volcan si nous étions au courant que ces « talents » n’allaient pas nous parler. Même pas pour un « bonjour ! »

Comme l’a brillamment relevé mon confrère du JIR, il s’agissait avant tout d’un coup de communication pour l’entreprise organisatrice et son association partenaire. Le « cleanwalk » s’est achevé rapidement après que trois petits sacs poubelles aient été à peine remplis pour justifier leur présence. Car la mission principale était réalisée : faire des photos pour ses réseaux sociaux et afficher publiquement leur vertu. La cause, elle, n’était qu’un prétexte à un séjour offert sur l’île.

Avaient-ils peur de nos questions ? Étaient-ils stressés à l’idée qu’on leur demande quel filtre ils utilisaient lorsqu’ils prennent les photos de leurs plats ? Étaient-ils terrorisés qu’on leur demande s’ils utilisaient photoshop sur leurs photos en maillot de bain ? Car fondamentalement, nous ne les connaissions pas pour la plupart et il est évident que nous n’allions pas chercher de polémiques. Une polémique qu’ils nous ont finalement offerte.

Pour m’être retrouvé embarqué malgré moi dans la protection animale en recueillant plusieurs chiots abandonnés, je peux remercier toutes ces bénévoles (car oui, ce sont essentiellement des femmes), pour m’avoir aidé à trouver une solution positive pour ces boules de poils. Je m’étais fait un plaisir de les avertir que j’allais faire un papier pour mettre en valeur leur combat qui aurait pu avoir une portée différente de ceux que nous faisons habituellement, que nenni.

Pas là pour les Réunionnais

Car comme l’a bien relevé mon confrère, en méprisant les médias locaux, ce sont bien les Réunionnais qui sont méprisés. Ils sont venus pour leur communauté virtuelle et l’île et ses habitants ne sont là que pour les décors. Ce qui se passe ici n’a pas d’intérêt à leurs yeux si ça n’est pas instagrammable. Et derrière les « merci aux Réunionnais pour leur accueil », qui sait ce qui se dit une fois les caméras éteintes.

Mais il ne faut pas jeter la pierre uniquement aux influenceurs. Les personnalités qui viennent dans l’île sans se soucier des habitants et leurs problèmes une fois les photos prises sont encore nombreux. Le premier exemple qui vient en tête de tous les journalistes de l’île est la visite de la Première ministre Elisabeth Borne l’année dernière.

Alors que la visite d’un Premier ministre en exercice à La Réunion est aussi rare que le nombre de cheveux sur mon crâne, nul doute que cette visite officielle était l’occasion de demander des réponses sur les problématiques que connaissent les Réunionnais (vie chère, chômage, logement…). Malheureusement, nous n’étions finalement pas concernés par cette visite.

En effet, entre les séquences où seuls les médias nationaux étaient accrédités et l’annulation des micros-tendus, nous étions juste là pour faire sa promotion, sans pouvoir faire notre travail à l’instar de nos confrères de l’Hexagone. Quel bonheur de découvrir ensuite que la Première ministre s’était montrée très loquace tout au long de la visite ministérielle au micro de Quotidien de Yann Barthès durant sa visite, où elle s’est ouverte sur tous les sujets qui ne concernaient pas La Réunion. Bref, ce déplacement ne servait qu’à se faire voir par l’électorat hexagonal, mais pas pour les Réunionnais.

Balance ton… mépris

2023 a été d’ailleurs une année faste pour ces personnalités qui se permettent d’avoir une attitude méprisante à La Réunion. Si bien évidemment ils ne diront rien à ce sujet, les organisateurs du Sakifo doivent avoir un certain goût amer en repensant à la dernière édition. Alors qu’ils avaient réussi à faire venir Angèle, l’une des plus grandes stars musicales de toute la francophonie, la joie s’est rapidement transformée en soupe à la grimace.

Après les conditions imposées par l’artiste pour venir, le coup de couteau dans le dos a été d’autant plus brutal lorsque son équipe a annoncé à la production du Sakifo et aux médias qu’ils ne pouvaient pas faire d’images de son concert. Cela juste quelques minutes avant sa montée sur scène et, évidemment, pas en amont lorsqu’il fallait négocier les conditions du voyage. Entre nos confrères de Réunion Première qui devaient diffuser l’événement et le festival qui perdait son film de l’évènement, les pertes économiques étaient énormes et le travail des dizaines de personnes tombait à l’eau pour un caprice. Nul doute que les Américains n’ont pas eu le même problème lors de son passage au festival Coachella quelques mois plus tôt.

Car ce que ces « personnalités » doivent comprendre, c’est que cette attitude n’a pas la même résonance à La Réunion, et plus généralement en outre-mer, que dans l’Hexagone. Après le passé colonial, les territoires ultramarins ont longtemps souffert d’être considérés comme des « Français de seconde zone ». Si les choses évoluent favorablement dans ce sens, ce type de comportement fait rejaillir ce sentiment de mépris qu’on pensait voir disparaître. Surtout quand ces mêmes personnes ne se comportent pas pareil ailleurs et ne se privent pas pour jouer les parangons de vertu sur les plateaux télé parisiens. Pour éviter de renvoyer cette image, c’est pourtant relativement simple et cela commence souvent par un simple « bonjour! »