Clip tourné à Fayard : Le rappeur Bofré invoque la drill plutôt qu’une incitation à la haine et finit en prison

Rédigé le 22/04/2024
Isabelle Serre

Le 18 janvier dernier à Saint André, des habitants caillassaient des policiers intervenant sur des violences conjugales. Le lendemain, le rappeur Bofré publiait un clip vu comme un appel à la haine envers les autorités, entraînant son arrestation. Il a été condamné ce lundi à deux ans de prison, dont un avec sursis, et maintien en détention. Il est interdit de retour à Saint André après sa libération.

Le 18 janvier dernier, dans le quartier Fayard à Saint André, des policiers qui intervenaient sur une scène de violences conjugales ont été caillassés par de jeunes habitants. Le lendemain, le rappeur Bofré mettait en ligne sur YouTube, un clip où l’on peut le voir torse nu, un masque sur la figure, entouré de très nombreux figurants, porteurs de différentes armes : armes de poing, pistolet, sabre, mitrailleur, chombo… Traduites par un officier de police judiciaire puis par un interprète agréé par la justice, les paroles de la chanson ont été considérées comme un appel à la haine envers les autorités et à en découdre avec la brigade anticriminalité.

Le lien entre ces deux faits a mis les policiers sur la piste d’une provocation. « Si on laisse la diffusion de ce genre d’images, on va entrer dans une zone de non-droit. Les règles d’autorité sont bafouées », commente la représentante du syndicat Unité Police. Appréhendé, El Ifrad B., 20 ans, a été placé en détention provisoire dans l’attente de son procès en comparution immédiate pour « diffusion d’un enregistrement d’images relatives à la commission d’une atteinte volontaire à la personne, participation avec arme à un attroupement ainsi qu’une provocation publique et directe à commettre un délit ou un crime non suivi d’effet ». Le jeune homme ayant souhaité un délai pour préparer sa défense était jugé ce lundi après-midi, toujours dans le cadre de la procédure accélérée.

Le prévenu s’est défendu d’un quelconque appel à la violence et a expliqué aux magistrats du tribunal correctionnel qu’il souhaitait s’exprimer sur ce qui se passe à Fayard. « Les armes, c’était pour faire le buzz », a développé le Saint-Andréen porteur d’un bracelet électronique, résultat d’une mise en examen pour extorsion en bande organisée à Mayotte. El Ifrad B. est soupçonné d’être un coupeur de route sur l’île aux parfums. Pendant les investigations actuellement en cours, il est assigné à résidence. Malgré une composition pénale prononcée en mai 2023 pour rébellion et un avertissement judiciaire en février 2022 pour des violences aggravées, le jeune rappeur n’en démord pas. Dans son clip, il voulait dénoncer les caillassages dont les policiers sont régulièrement la cible à Fayard lors de leurs interventions.

Des déclarations dont le parquet n’a cure. Afin de ne pas entrer dans le débat de la traduction des paroles de la chanson, le procureur de la République fait état de celles qu’a fournies le mis en cause : « on veut de l’argent, de la monnaie, c’est pour ça qu’on est méchant sur la route », une allusion à son passé présumé de coupeur de route pour le représentant de la société. « Tu ouvriras ta bouche une fois dans ta vie, mais ici, t’oseras pas rentrer », poursuit le procureur qui estime qu’Ifrad B. dans son texte soutient les violences de son quartier. Le parquet met également l’accent sur « le paraverbal » à savoir des gestes de violence, des armes brandies, des molosses avec muselière et un geste de chombo passé sous le cou. « Bofré n’a rien d’un journaliste qui fait un reportage sur Fayard », tacle le procureur de la République.

Pour la défense qui a dénoncé en début d’audience « une enquête menée à charge ainsi qu’une présomption de culpabilité », le clip se classe dans la catégorie du drill, un rap dont les paroles sont sombres, violentes, nihilistes, et reflètent voire glorifient la loi de la rue d’une manière générale. Rien à voir avec une provocation quelconque mais plutôt une liberté d’artiste. Un artiste qui n’aurait jamais incité les figurants à venir au tournage avec des armes.

Pour autant, le tribunal a condamné le soldat Bofré à 2 ans de prison, dont un avec sursis et un maintien en détention. A sa sortie de Domenjod, le vingtenaire a interdiction de se rendre à St-André et devra effectuer un travail d’intérêt général à raison de 100 heures.